“L'éthologie devrait constituer un socle commun à toutes les disciplines équestres”, Hélène Roche

Éthologue et autrice de quatre ouvrages, Hélène Roche s’emploie depuis de nombreuses années à former les équitants et professionnels du milieu équin sur divers sujets en lien avec le bien-être animal. Samedi et dimanche, elle animera deux conférences lors du forum sur la Forum Santé Équine organisé à l’occasion du Jumping international de Bordeaux. Entretien.



Quels sont les thèmes que vous abordez lors de vos deux conférences au Jumping de Bordeaux ? 

La première intervention, intitulée “Fini les rétivités et vices d’écurie”, consistera en un bref tour d’horizon des problèmes comportementaux que l’on peut rencontrer chez les chevaux, sous la selle ou à l’écurie, ainsi que les manières d’y remédier. Dans le cadre de cette présentation, je serai également amenée à parler d'anthropomorphisme et d'anthropocentrisme, de ce que l’on projette sur les chevaux et des risques que ces dérives peuvent comporter. Nous verrons notamment que les mots que l’on emploie peuvent avoir des conséquences sur notre manière d’être avec les chevaux. Je souhaite proposer une réflexion sous un angle un peu différent de ce que l’on a l’habitude d’entendre sur ce type de sujets. La seconde intervention a pour titre “Préparer son cheval aux soins vétérinaires” et abordera ce que l’on appelle le medical training. Le vétérinaire Tristan Deguillaume assurera l’introduction de la conférence et parlera des enjeux d’avoir un cheval coopératif lors des soins. Ces interventions comporteront diverses astuces et conseils à destination des propriétaires de chevaux. À l’issue de chacune des présentations, un temps d’échange est prévu pour que les personnes présentes dans le public puissent poser leurs questions.  

Intervenir au Jumping de Bordeaux est l’occasion pour moi de rencontrer les gens en vrai, ce qui me ravit d’autant plus que cela n’a pas été possible ces deux dernières années en raison des restrictions post-covid ayant causé l’annulation du salon. Cela me permettra également d’aborder des sujets qui me tiennent à cœur et sur lesquels les gens ne se renseignent pas toujours spontanément. 

Qu’est-ce qui vous motive dans l'exercice de la transmission ? 

J’essaye d’être un relais entre les chercheurs et les personnes de terrain qui côtoient les chevaux à titre professionnel ou pour leur loisir. Je m’attache à être un trait d’union entre deux mondes qui ne se comprennent pas toujours. Mon rôle me pousse à être attentive des deux côtés, à l’évolution des connaissances, ainsi qu’aux demandes du terrain et de la société. 

Aujourd’hui, le bien-être animal est au centre de nombreux débats qui animent la sphère équestre. C’est l’un des enjeux principaux de l’avenir du sport, notamment à haut niveau. Quel regard de scientifique portez-vous sur l’évolution de la question ? 

 Je pense que les gens se posent de plus en plus de questions et c’est une très bonne chose. Le bien-être animal est un sujet de société et à mon sens, les questionnements qui ont émergé au cours des dernières années font en réalité partie de l’évolution de la pensée humaine. S’intéresser à d’autres animaux que nous-mêmes est normal et sensé. 
Il paraît essentiel de prendre en considération les abus ayant pu être observés dans en équitation dans le passé, afin de pouvoir continuer à pratiquer un sport en adéquation avec les connaissances dont nous disposons aujourd'hui. En tout cas, je constate réellement l’intérêt croissant des gens pour le sujet. En 2013, j'ai écrit un livre intitulé Mon cheval est-il heureux à l’écurie ?, qui traite du bien-être du cheval en lien avec son mode d’hébergement. À l’époque, je n’ai même pas envisagé mettre le mot “bien-être” dans le titre, car c’était un terme que seuls les chercheurs utilisaient. Aujourd’hui, on lit ce mot partout, ce qui prouve que les mentalités ont évolué. 




“Le domaine équin pâtit d’un manque de valorisation de la formation continue”, Hélène Roche

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© Sylvère Petit

Pensez-vous que l’accès à ces connaissances ait été suffisamment facilité, notamment au sein des structures d’enseignement ? 

En tant que formatrice, je constate effectivement que les structures évoluent à différentes vitesses. Je pense que cela tient aussi aux différentes dynamiques personnelles et professionnelles des gérants d’écuries. Toutefois, comparé à il y a quelques années, nous disposons aujourd’hui d’un foyer d’informations sans précédent, notamment accessible grâce à internet et aux medias. Le problème n’est donc pas tant celui de l’accès à l’information, que de savoir quoi faire de ces connaissances acquises et comment les transformer en actions concrètes. À mon sens, il existe un défaut de partage d’expérience, bien qu'il semble progressivement se combler. Pour autant, le domaine équin pâtit d’un manque de valorisation de la formation continue. Contrairement aux vétérinaires, par exemple, la plupart des professionnels de la filière équine n’ont pas d’obligation à continuer de se former tout au long de leur carrière. C’est, selon moi, l’une des raisons pour lesquelles il est important de donner envie aux gens de s’informer au-delà de la contrainte représentée par des lois ou des lignes de règlement. 

Depuis quelques années, le mode d’hébergement des chevaux semble faire l’objet d’une prise de conscience au sein de la communauté équestre. Pensez-vous que nous assistons à l'abandon progressif de l'hébergement exclusivement en box ? 

C’est en tout cas ce qui serait souhaitable. Bien sûr, respecter les besoins fondamentaux des chevaux tout en avançant vers des objectifs de loisir ou de sport implique de réels changements d’habitude, ainsi qu’une adaptation des infrastructures existantes qui ne sont pas toujours conformes aux connaissances dont nous disposons aujourd’hui en matière de bien-être équin. Néanmoins, il est possible de “faire du neuf avec du vieux”, mais cela implique une réflexion qui, selon moi, nécessite de se faire accompagner.

L’adjectif “éthologique” est aujourd’hui très largement employé, notamment par les équipementiers qui tendent à en faire un argument marketing. Avez-vous le sentiment qu’il a perdu de son sens ? 

Depuis que le terme “d’équitation éthologique” a été posé en 2003 par la Fédération française d’équitation (FFE), c’est un éternel débat. Il va de soi que l’équitation devrait être éthologique par essence et qu’associer le respect et l’écoute du cheval à une pratique parmi d’autres paraît incohérent. On pourrait imaginer que, par le biais de cercles communs, ce que l’on appelle aujourd'hui l’équitation éthologique fasse partie d’un ensemble d’apprentissage. Néanmoins, peut-être que maintenant qu’il existe en France des niveaux de progression officiels (Les Savoirs éthologiques, ndlr), les choses vont évoluer différemment. L’une des avancées majeures a d’ailleurs été l’intégration du travail à pied et de connaissances en science éthologique dans les Galops de la FFE, ce qui était auparavant réservé aux Savoirs. Pour le moment, la FFE est l’unique fédération équestre au monde à avoir mis cela en place et justement, cela est en partie dû à l’amalgame du terme qui fait que l’on parle aujourd’hui d’équitation éthologique ! Je préfère voir l’aspect positif de la chose et me dire que nous parvenons tout de même à faire passer le message. Après tout, “éthologie” n’est que le terme français choisi pour traduire Horsemanship qui, par définition, intègre toutes les disciplines. Que l’on pratique le dressage, le horse ball, l’équitation western ou le saut d’obstacles, l’éthologie regroupe un ensemble d’exercices, des axes de travail et une manière de communiquer avec les chevaux qui constituent un socle commun.