Samantha Prigent, savant mélange de l’ancien et du contemporain

Cavalière devenue artiste accomplie, Samantha Prigent façonne ses œuvres d’un style tantôt figuratif, tantôt naïf, parfois même aux airs antiques et mythologiques. Bretonne, la quasi-quadragénaire sculpte, peint et dessine le cheval au cœur du Cap Caval.



Samantha Prigent.

Samantha Prigent.

© Collection privée

Vouloir comprendre le travail de Samantha Prigent et ses racines, c’est avant tout accepter de se plonger dans un univers aux notes celtiques. C’est en effet aux confins de l’Armorique, large région côtière antique correspondant à l’actuelle région Bretagne, que l’artiste a vu le jour il y a bientôt quarante ans, à Brest, dans une famille et un environnement où soufflent des embruns résolument artistiques. Officier de la Marine française, son père est un ancien élève des Beaux-Arts de Brest et Quimper; une influence familiale ayant fait de lui un peintre non-officiel de ce corps des Forces armées. Artiste dans l’âme, la mère de Samantha Prigent peint et dessine, mais uniquement pour son plaisir. Outre l’art, l’ADN de la fille de ces deux artistes intermittents est aussi marqué par l’histoire et l’héritage de Jean-Marie Conseil. Né en 1884, l’abbé illustrateur est mort en 1916, à trente-deux ans seulement, sur le front de la Première Guerre mondiale où il était brancardier, après avoir immortalisé les horreurs du conflit dans ses carnets de dessins; un travail qui a d’ailleurs inspiré l’une des mosaïques de la cathédrale Saint-Corentin de Quimper. La bientôt quadragénaire tempère malgré tout cette influence familiale qu’elle juge modeste: “Mon père n’a jamais beaucoup partagé cette activité. J’ai pu observer son travail lorsque j’étais petite, mais je suis très autodidacte donc je me suis faite toute seule.” 

À l’aube de ses six ans, ses parents décident de déménager dans le Finistère, département de la pointe ouest de la Bretagne, pour reprendre la ferme animalière fondée par son grand-père. “C’est là que j’ai commencé à voir des poneys et des chevaux, que je m’amusais à crayonner”, raconte la sympathique Bretonne. “Cette ferme était presque un zoo, j’ai donc grandi aux côtés d’un tas d’animaux assez exotiques!” La jeune fille suit une scolarité relativement classique jusqu’au lycée, où elle décide de s’orienter vers une filière équestre au lycée agricole de Landivisiau, capitale historique du cheval Breton. L’adolescente a alors dix-sept ans et s’engage dans un baccalauréat professionnel spécialisé dans l’exploitation des chevaux de sport. “Même si je dessinais toujours, le cheval a pris le pas sur la création”, concède-t-elle. Impulsée par des envies d’ailleurs, son entrée dans l’âge adulte est finalement marquée par une décision radicale: celle de s’éloigner de sa Bretagne natale. “Ma meilleure amie était d’origine irlandaise, j’ai donc eu l’opportunité d’aller en Irlande, où j’ai travaillé quatre ans comme cavalière.” Un nouvel univers certes dépaysant, mais aux racines communes.

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Un accident qui en décide autrement...

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Au début des années 2000, Samantha travaille ainsi pour Philippa Peters, complétiste qui participe aux championnats d’Europe Jeunes Cavaliers à Wiendorf Dienslhof en 2002. “Je montais et je m’occupais des chevaux d’élevage; c’était assez familial”, résume-t-elle. Elle rejoint ensuite Lars et Caroline Bjoerk aux écuries Dollanstown Stud, au nord-ouest de Dublin. Légèrement laissés de côté, crayons et pinceaux se rappellent à son bon souvenir… “L’ambiance et les lieux de l’Irlande étaient très inspirants. Il y avait des manoirs, de la pierre, de vieilles maisons dotées d’une histoire, les tableaux d’ancêtres ou des gravures anciennes aux murs. Cet attrait pour l’ancien est quelque chose de très présent dans leur culture.” Quelques semaines de vacances lui donnent l’occasion de rentrer en France; un retour qui s’avère accidentellement… définitif. “Je devais repartir dans une écurie de steeple, mais je me suis cassé la cheville en tombant de cheval, ce qui m’a valu une double fracture”, raconte-t-elle. Une fois soignée, en 2013, la jeune femme rencontre Thierry Lacour. Champion de France de concours complet en 1977, 1980 et 1982, et quatrième par équipes aux championnats du monde de Luhmühlen en 1982 avec Hymen de la Cour (SF, Montigny, Ps x Uhtan, Ds), le complétiste l’embauche alors comme cavalière; un nouveau chapitre qui durera dix ans. 

La trentaine passée, Samantha Prigent a davantage expérimenté la vie de cavalière que celle d’artiste. Mais il paraît que l’on n’échappe jamais totalement à ses racines et à son destin… “J’ai arrêté de travailler chez Thierry Lacour car j’avais le sentiment d’avoir fait le tour. J’avais besoin d’autre chose”, confie-t-elle. Le pari d’un changement de vie est risqué, mais Samantha Prigent sait que la corde artistique de son arc est encore restée sous-exploitée: “J’ai eu envie de me mettre à la peinture à l’huile.” Pour ce projet, celle qui jusqu’alors n’avait été qu’autodidacte est amenée à se rapprocher de l’artiste peintre Michel Corbel, installé non loin de son domicile. “C’était quelqu’un de réputé, qui avait suivi les Beaux-Arts de Paris et avait été exposé chez Drouot. En plus de son enseignement, il m’a portée car il croyait en ce que je faisais”, explique-t-elle. Outre le papier et la toile, son pinceau glisse à cette période vers la porcelaine. “J’ai commencé à peindre sur de la vaisselle vintage, sauf qu’il me fallait un four…” Cette nouvelle orientation l’amène à pousser les portes d’un atelier de poterie situé à proximité. “Cela m’a donné envie d’essayer la sculpture, et c’est rapidement devenu une évidence.” Son coup de pinceau et son style figuratif – naïf ou abstrait – s’expriment désormais dans la matière et prennent vie en trois dimensions. “Michel Corbel m’avait d’ailleurs dit que la sculpture était un domaine qui m’irait bien!”, s’amuse-t-elle. Une pratique qui a depuis participé à sa singularité, et pour laquelle elle a trouvé une signature: une patine vert-de-gris à l’effet vieilli, presque antique! “Je trouve intéressant de l’associer à quelque chose de contemporain, comme si le passé faisait partie du présent”, explique l’artiste. “Je souhaite donner une émotion, sans reproduire le sujet tel quel, mais en faisant plutôt ressortir le mouvement. Je veux illustrer la grâce, la légèreté et la joie, qui représentent à mon sens la beauté et la vie.” Outre cette patine bien à elle, l’ancienne cavalière a fait de la terre sa matière. “Je travaille principalement avec une terre de Bourgogne, qui est un peu granuleuse, chamottée comme on dit. J’ai aussi utilisé des terres de Normandie, très blanches, avec un aspect proche de la pierre de tuffeau.” 

Côté inspiration, Samantha est avant tout une instinctive. “Quand j’ai une idée en tête, il faut que je la réalise. Le cheval que je dessine, peins ou sculpte est généralement issu de mes souvenirs. Ce sont des flashs qui me viennent. Je ne travaille donc pas à partir de photographies et je ne les reproduis pas strictement. Par exemple, si je reçois une commande, mon œuvre sera le fruit d’une interprétation, avec mon style”, admet-elle. Si les chevaux de sport et de course l’inspirent davantage, le cavalier trouve lui aussi toute sa place dans sa créativité: “Il doit faire fusion avec le cheval; c’est ce qui est beau dans l’équitation, et c’est ce que je veux représenter. Pour moi, cheval et cavalier sont intimement liés, ne serait-ce que par l’histoire millénaire qu’ils partagent.” Logique, donc, que le corps humain fasse aussi partie de ses sujets de prédilection! “Il y a beaucoup de similitudes entre les deux corps.” 

Régulièrement présente depuis 2015 sur quelques-uns des plus beaux événements équestres de France, l’artiste a ainsi exposé son travail au CSIO 5* de La Baule, au festival Artcheval de Saumur, pour lequel elle a été sélectionnée deux fois, ou encore au Pôle hippique de Saint-Lô. “Je trouve que mes sculptures se marient bien avec les lieux chargés d’histoire. Ce sont donc des endroits qui m’intéressent, et si je découvre un lieu qui me plaît, il m’arrive de demander à y exposer mes œuvres. C’est aussi souvent une question de feeling avec la personne que je rencontre.” Cela s’est encore exprimé l’été dernier dans la crypte du château de Keriolet, sur les hauteurs de Concarneau, ainsi qu’au fort de Sainte-Marine, à Combrit, dans le Finistère, où plusieurs de ses œuvres ont été présentées au public. 

Influencée par Thierry Faure “pour le travail des couleurs, leurs mouvements et leurs traitements”, Léonard de Vinci ou Géricault, Samantha Prigent caresse désormais de nombreux rêves: créer ses premiers bronzes, s’installer dans son propre atelier, exposer sur ses chères terres anglaises et irlandaises, enseigner, ou pourquoi pas s’orienter vers la décoration d’intérieur. En attendant de les réaliser, c’est fidèle à sa Bretagne natale et au vent de la côte découpée de Plovan que Samantha Prigent poursuit son expression du mouvement.

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.

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