Alain Guillotin, la trace colorée d’un cheval suggéré

Bleu, vert, jaune, rouge… D’un trait, d’une trace épurée, Alain Guillotin suggère un cheval minimaliste mais jamais simpliste. Graphiste de formation et Normand d’adoption, c’est par hasard que le cheval est devenu son sujet de prédilection.



© Collection privée

Dans un Paris animé par la déclaration de l’indépendance de la Tunisie, la famille Guillotin célèbre la naissance d’Alain, le petit dernier d’une fratrie de deux enfants, sa grande sœur ayant déjà atteint l’âge de dix ans. Installés à Nogent-sur-Marne, son père est menuisier et sa mère fonctionnaire au ministère des Transports. “Des gens simples avec des métiers ordinaires”, explique l’artiste peintre de soixante-sept ans, tout en précisant: “Mais ils avaient un vrai goût pour l’art et nous l’ont transmis. Ce qui, pour moi, montre bien que la culture artistique n’a rien à voir avec une question de milieu social ou de moyens financiers! Nous étions le genre de famille qui n’hésitait pas à s’arrêter sur la route des vacances si nous croisions une exposition intéressante.” C’est donc dans la commune haut-marnaise, voyant naître et/ou disparaître de grandes figures de la culture comme le peintre Antoine Watteau, le sculpteur Chang Chong-jen ou encore le graveur Maxime Lalanne, que le petit garçon grandit et suit sa scolarité. Un environnement également marqué par l’héritage de ses aïeux. “Du côté de ma mère, il y a eu un musicien, un chanteur d’opéra et un joaillier. Ma grand-mère habitait Paris, non loin de la place de la Nation, et m’a fait visiter tous les musées parisiens lorsque j’allais chez elle entre dix et quinze ans”, se remémore-t-il. “Par ailleurs, mes parents côtoyaient un couple d’amis très proches, Jeannine et André, de vrais artistes, m’ayant un peu pris sous leurs ailes. Lui avait étudié à l’École Boulle, à l’École nationale supérieure des Arts décoratifs et aux Beaux-Arts, tandis qu’elle était dessinatrice de mode. Comme nous n’avions pas classe le jeudi à l’époque, j’allais chez eux pour dessiner.” 

Si Alain Guillotin ne suit aucun enseignement artistique, il se nourrit des apports de son entourage et, timide et réservé, se réfugie dans le dessin et la création. “Enfant, je pense que le dessin était mon moyen d’expression. Je communiquais davantage par le visuel que par la parole. À l’époque, je reproduisais ce que je voyais et, petit à petit, vers l’âge de quinze ans, je me suis mis à la peinture à l’huile.” En plus du dessin, l’adolescent s’intéresse à l’image avec son “Kodak instamatic”, un appareil argentique développé dans les années 1960, et commence son apprentissage avec son père, lui aussi passionné par la photographie. Aujourd’hui, grâce à son expérience et sa maîtrise, il prend ses images d’instinct, sans recadrage ni retouche.



Une première expo à seulement dix-huit ans

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Une fois le collège terminé, l’adolescent se verrait bien embrasser une carrière proche de l’univers artistique. Conforté dans son choix et encouragé par sa sœur, l’incitant à se diriger vers la publicité, et soutenu par ses parents et leur couple d’amis, Alain Guillotin rejoint finalement Paris et intègre le lycée Corvisart pour y suivre un baccalauréat professionnel. Situé dans le treizième arrondissement, l’établissement de briques rouges et ocres signé Victor Rich, également connu pour être l’architecte du monument aux Girondins, place des Quinconces à Bordeaux, le forme au métier de graphiste durant trois ans. Cela lui permet de continuer à dessiner et peindre, sans suivre le moindre cours pour autant, “à part les cours d’arts graphiques que je recevais au lycée”, concède-t-il. “C’est d’ailleurs à dix-huit ans que j’ai participé à ma première exposition, à Fontenay-sous-Bois, toujours avec le soutien de ce fameux couple d’amis. C’est même là que j’ai réalisé ma première vente!” 

Son diplôme en poche, Alain Guillotin trouve immédiatement un emploi. “À cette époque, les patrons nous attendaient à la sortie de l’école… Aujourd’hui, c’est plus difficile. J’ai donc rejoint une agence de publicité, une structure familiale d’une dizaine de personnes, où j’ai appris le métier mais où l’on m’a également laissé prendre rapidement des responsabilités, d’abord comme graphiste et maquettiste, puis comme chef de studio. Par exemple, nous travaillions sur d’intéressants projets avec des clients qui étaient de grands noms de la mode ou de la parfumerie.” 

Après trois ans en tant qu’employé, le jeune homme, alors âgé de vingt-trois ans, décide finalement de se lancer à son compte, en tant qu’indépendant ; une activité qu’il poursuivra sous diverses formes jusqu’en 2019, année de sa retraite. En parallèle de ses activités professionnelles, Alain Guillotin a donc mis à profit près de quatre décennies pour faire évoluer son style et rencontrer, par hasard, celui qui est devenu au fil des ans son sujet de prédilection: le cheval. “Au début, je peignais principalement des paysages d’inspiration impressionniste, puis mon style s’est simplifié pour arriver, trente ans après, à l’abstrait”, explique cet autodidacte, qui a toujours bénéficié de l’aiguillage de son entourage. “Mon parcours a suivi son cours, en travaillant et en allant voir ce que les autres artistes faisaient.”

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La découverte du cheval par les courses

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Absolument pas cavalier, Alain Guillotin a découvert le cheval il y a maintenant une quinzaine d’années. “J’ai toujours participé à bon nombre d’expositions, car cela me permet de présenter mon travail. Un jour, j’étais dans l’Oise et j’ai croisé des gens venant de cet univers, qui m’ont incité à travailler sur ce thème.” Comme souvent chez les néophytes, c’est d’abord vers les champs de courses qu’il s’oriente. “Pour mes premières créations, j’ai récupéré des tapis de selle à l’hippodrome de Chantilly, un support que j’utilise toujours par ailleurs : cela me plaisait, d’autant plus que le numéro du cheval et le nom de l’hippodrome y étaient indiqués. Il y avait un lien avec le caractère graphique de mon métier”, explique-t-il, “même si, pour autant, je n’étais pas spécialement féru de courses hippiques.” La suite de son histoire avec le cheval s’écrit rapidement. “Je pense que l’on peut dire qu’il m’a ouvert une direction artistique.” Alain Guillotin expose alors quelques-unes de ses toiles dans une galerie parisienne, à deux pas du Champ-de-Mars, dans le classieux septième arrondissement. “Par hasard, le responsable de l’organisation d’Art Cheval (festival d’art équestre organisé annuellement à Saumur, ndlr) a vu mes tableaux et a voulu que j’y participe.” Il propose donc quelques pièces lors de l’édition 2015 du salon et y remporte le Grand Prix. “C’est une année où beaucoup de choses se sont accélérées professionnellement.” 

Depuis huit ans maintenant, il n’est pas rare de croiser l’artiste et ses œuvres lors d’événements équestres prestigieux, mais également lors de salons majeurs comme Art Capital ou Aranima. Il faut dire que son style est reconnaissable entre mille: impactant, direct, coloré et épuré, il est immédiatement remarqué. “J’utilise effectivement des couleurs vives, mais je ne sais pas vraiment pourquoi je les choisis. C’est à l’instinct. En revanche, je sais que j’ai des envies de joie, de gaieté, et que le tableau apporte du bien-être à la personne qui décide de l’acheter. Je suis gêné devant quelque chose représentant une forme de tristesse ou qui aborde la notion de mort.” Un sentiment que l’artiste tente d’expliquer: “Peut-être que mon père, qui avait fait la guerre, m’a transmis quelque chose de l’ordre du pacifisme.” Si le cheval lui a permis de développer sa notoriété, d’autres thèmes et d’autres techniques lui permettent d’exprimer sa créativité, comme la femme, le corps, la musique ou encore l’eau. “Malgré tout, ma création est davantage orientée vers le cheval, d’autant que j’expose beaucoup en Normandie, où je vis désormais. Ma volonté est évidemment d’évoluer et de ne jamais m’enfermer dans un style ou une technique. Peut-être que dans cinq ou dix ans je ferai autre chose de totalement différent!” 

Outre la peinture, chez Alain Guillotin la sculpture est aussi un champ d’expression. Spécialiste des assemblages de matériaux équestres récupérés ici et là, son œuvre “Totem Planète Cheval” ne laisse jamais indifférent. “Quel que soit le lieu où je la présente, les gens s’en souviennent. D’une certaine manière, elle illustre bien mon travail.” Cette pièce, comme ses tableaux ou ses sculptures de pierre, de bronze ou de résine, ambitionne de “suggérer plus que d’être dans la figuration complète et précise”. Voilà ce que le désormais sexagénaire définit comme sa signature. Une autre de ses particularités tient à la manière dont il souhaite partager son travail. “J’expose assez peu en galerie. C’est une volonté de ma part, liée à mon caractère indépendant. Je préfère parfois assumer de me limiter mais maîtriser tous les aspects de ma création, notamment son prix de vente.”

Retraité mais pas franchement désœuvré, Alain Guillotin crée à un rythme quasi effréné. “Je suis assez prolifique, car je travaille rapidement afin de conserver l’énergie du mouvement et ne pas perdre le fil. La retraite de ma vie de graphiste, je ne peux pas dire que je l’ai vraiment sentie, contrairement à certains se retrouvant sans trop d’activités ou relations. Elle me permet au contraire de créer davantage, d’exposer plus encore. J’ai d’ailleurs l’impression de continuer à travailler, même si c’est un plaisir.” Toujours à cheval entre la Normandie et la région parisienne, l’artiste prépare déjà ses prochaines expositions, notamment “Traces équines” qu’il présentera en janvier prochain au Château des Tourelles, au Plessis-Trévise. À moins que 2024 ne lui ouvre d’autres perspectives… Ce qui semble déjà être le cas, puisque l’artiste est invité, avec deux confrères, à exposer principalement des sculptures à l’hôtel de ville de la CelleSaint-Cloud, du 19 octobre au 17 décembre. Le titre? “Sur la route des Jeux olympiques.” Composée d’une dizaine d’œuvres sur le thème équin, cette exposition fera le lien avec les compétitions olympiques équestres à Versailles.

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.

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