“Mettre fin à l’impunité de ceux qui ternissent l’image de notre sport”, Theo Ploegmakers

Le mois dernier, la Fédération équestre européenne (EEF) a réalisé une enquête au sujet des comportements abusifs envers les équidés au travail. La semaine passée, les résultats de ce sondage, diffusé auprès des acteurs de l’ensemble de la filière équine, ont été analysés et discutés lors d’un webinaire intitulé “Garantir le bien-être des chevaux à l’écurie”. À la suite de cette conversation, visionnable ici, le président de l’EEF, Theo Ploegmakers a publié une tribune dans laquelle il fait état des problématiques identifiées et suggère plusieurs pistes de solutions. La voici publiée dans son intégralité.



“À la suite des nombreux cas de maltraitance récemment médiatisés, ainsi que des conclusions de la Commission pour l’éthique et le bien-être équin (de la Fédération équestre internationale, à laquelle appartient Theo Ploegmakers, ndlr), nous avons estimé que la notion de bien-être équin à l’écurie devait être définie plus en détail avec nos membres et nos fédérations nationales. À l’abri des regards et hors de la vigilance des fédérations nationales et des autorités, des méthodes sont employées pour repousser les limites de la performance. Ces pratiques dissimulées compromettent non seulement l’intégrité du sport, mais portent également atteinte au bien-être des chevaux concernés. Nous avons mené une enquête complémentaire pour explorer cette question plus en détail, et les réponses obtenues ont été nombreuses. Compte tenu du fait que la majorité des participants sont originaires d’Europe et s’identifient comme des cavaliers nationaux ou des propriétaires de chevaux, les résultats montrent clairement qu’il ne s’agit pas d’une problématique uniquement liée à la FEI, ni à la compétition. Pas moins de 90% des personnes interrogées ont déclaré avoir été témoins de comportements qui, selon elles, compromettaient le bien-être des chevaux au sein même de leur écurie, et près de la moitié d’entre elles affirment l’avoir été au cours des six derniers mois. Il s’agit d’une épidémie qui sévit dès les plus petits niveaux et contre laquelle nos fédérations nationales doivent prendre des mesures. Le défi pour les fédérations nationales est de trouver des méthodes efficaces pour faire face à cette situation. Au cours de notre webinaire, Constanze Winter (conseillère juridique auprès de la Fédération allemande, ndlr) a exposé les difficultés liées aux procédures judiciaires et à l’application de sanctions. En effet, le niveau de preuve et d’investigation requis pour pouvoir engager des poursuites avec succès est à la fois élevé et difficile à atteindre compte tenu de l’état du droit. En outre, lorsqu’est abordée la question des méthodes d’entraînement, de nombreux cas n’apparaissent pas suffisamment “graves” pour justifier l’intervention des autorités judiciaires ou autres. Nous reconnaissons toutefois que ces méthodes sont inappropriées, qu’elles causent du tort à l’animal et qu’elles ne devraient pas être employées.
Il est temps de changer de paradigme, de mettre fin à l’impunité de ceux qui ternissent l’image de notre sport. Si le dressage a fait l’objet d’une vive attention, nous ne pouvons pas être naïfs face aux menaces qui pèsent sur l’ensemble des disciplines équestres, ni face à la potentielle existence de mauvaises pratiques à tous les niveaux sportifs. La question se pose peut-être de savoir quel rôle nous, à l’EEF, avons à jouer face à cette situation. Nous sommes limités dans nos contrôles, n’établissons pas de règles et n’avons pas de relations définies avec les athlètes. Nous devons cependant utiliser notre cercle d’influence pour initier le dialogue, y impliquer nos fédérations nationales membres et, le cas échéant, apporter notre soutien à la FEI qui peut établir des règlements.



“Être témoin de comportements que l’on désapprouve et les ignorer revient en fait à les accepter”

Face à ce problème qui dépasse largement l’espace international, les fédérations nationales jouent un rôle clé. Au-delà de l’application de la loi, la pédagogie et la sensibilisation sont essentielles. Les fédérations nationales doivent être le fer de lance d’initiatives visant à éduquer les enseignants ou entraîneurs, les cavaliers, les officiels et toutes les parties prenantes sur les limites éthiques des pratiques d’entraînement. En encourageant une culture de la transparence et de la responsabilité, nous pouvons instaurer une communauté où le bien-être du cheval prévaut. La Suède a fait part de certaines des initiatives qu’elle a déjà mises en place, notamment concernant l’éducation aux embouchures et à leurs effets sur la bouche du cheval. En tant qu’organisation, l’EEF continuera à examiner ces types de projets déjà en place et à les partager avec ses membres afin de pouvoir tirer des leçons des meilleures pratiques et introduire des dispositifs similaires au sein toutes les fédérations nationales.
Les enjeux sont considérables, et tout cheval mérite d’être entraîné avec dignité et respect. Leur bien-être ne doit jamais être compromis au profit de la performance. En tant que dépositaires de ce sport, nous avons la responsabilité collective de défendre les normes d’intégrité les plus strictes et de veiller à ce que l’esprit sportif reste intact pour les générations futures. Ce travail de responsabilisation ne concerne pas seulement nos fédérations. Toutes les personnes impliquées dans la vie des chevaux – cavaliers, grooms, responsables d’écuries et instructeurs – doivent être sensibilisés à ces questions. Il est nécessaire d’opérer un changement systémique des mentalités et de faire en sorte que tous les individus deviennent ce que nous appelons des “spectateurs actifs”. Être témoin de comportements que l’on désapprouve et les ignorer revient en fait à les accepter. Il ne s’agit pas là de favoriser un climat d’agressivité et de conflit, mais de susciter des conversations au sein de notre filière et de régulièrement se demander: “Pensons-nous vraiment que c’est bon pour le cheval ?”. En nommant pour chaque district des représentants des équidés dédiés à servir d’intermédiaires pour ceux qui souhaitent soulever des questions et intervenir, l’Allemagne a donné un exemple de la manière dont une Fédération nationale peut contribuer à faciliter ce processus.
Dans un contexte de compétition, n’oublions pas les valeurs nobles de notre sport, célébrant l’harmonie, la finesse et la complicité entre le cheval et le cavalier. Soyons à la hauteur de ces enjeux, unis dans notre détermination à sauvegarder le caractère sacré du sport qui nous est cher. Il est temps de faire la lumière sur les zones d’ombre, de donner du pouvoir à nos fédérations et d’honorer l’esprit de notre sport. Les principes d’intégrité, de respect et de bien-être, tant pour le cheval que pour le cavalier, constituent les fondements d’une pratique équestre juste. Cela implique des règles du jeu équitables, caractérisées par l’honnêteté et la connaissance du cheval, qui placent le respect de l’animal au-dessus de tout. La véritable essence du sport ne réside pas seulement dans la victoire, mais dans la poursuite de l’excellence avec intégrité et compassion.”